[Analyse] Manuel Valls, alias El Blanco à Matignon

Après deux années de synthèse molle, incarnée par un gouvernement Ayrault à la communication parfois inaudible en raison de dissensions internes insolubles, et dont le bilan a mené à l’une des plus grandes débâcles électorales de l’histoire de la gauche socialiste, François Hollande s’est résolu à confier les clés du camion France à l’un des rares ministres ayant su préserver, plus grâce à sa communication qu’à son bilan, une image d’homme engagé et actif au service des français.

Homme actif, cela ne fait aucun doute. Il n’a d’ailleurs jamais ménagé sa peine pour occuper l’espace médiatique, profitant par exemple des vacances gouvernementales lors de l’été 2013 pour en être le seul protagoniste. En tant qu’homme engagé, il a également fait ses preuves. On l’a bien vu dans l’affaire Dieudonné, lorsqu’il se fixe un but (en l’occurrence faire annuler le spectacle « Le Mur »), il se donne tous les moyens pour y arriver. Quitte à bousculer quelque peu les institutions de la République. En effet, le Conseil d’Etat, plus haute juridiction de France, n’a pas l’habitude de devoir prendre une décision invalidant le jugement d’un tribunal en l’espace de quelques heures seulement, sur demande exprès du ministère de l’Intérieur.

Son bilan après deux années Place Beauvau fait débat. La bagarre des chiffres, arbitrée par des indicateurs toujours contestables en raison de critères modifiables, voire manipulables, qu’elle soit sur la hausse du nombre de cambriolages ou bien sur la baisse des violences à la personne, dissimule de moins en moins que l’essentiel de l’action d’un ministre de l’Intérieur consiste, en particulier depuis le passage de Nicolas Sarkozy, en la communication médiatique. Et sur ce plan, Manuel Valls semble être passé maître, tout au long de son irrésistible ascension, depuis son poste de chargé de la communication et de la presse (ça ne s’invente pas) du cabinet du Premier Ministre Jospin, à celui de député – maire d’Evry jusqu’à devenir LE poids lourd du gouvernement Ayrault. Il semble d’ailleurs toujours aussi surprenant qu’il ne pâtisse pas d’un épisode pourtant désastreux au cours duquel, lors d’un reportage sur un marché d’Evry, il glissait à son conseiller qu’il souhaitait montrer plus de « White » et de « Blancos » à la caméra, sans s’apercevoir qu’il était encore enregistré.

 

Ce genre de commentaire, alors qu’il n’était qu’un aspirant ambitieux parmi les éléphants du PS, aurait pu briser sa carrière. Au contraire, sa maîtrise parfaite du fonctionnement médiatique lui a permis d’éluder le problème. Mieux, il s’appliqua à en tirer profit dans les médias (Direct 8, Europe 1, France 2) grâce à une rhétorique douteuse et bien décryptée par Mediapart dans le lien suivant : http://blogs.mediapart.fr/blog/internetdev/010613/selon-certain-manuel-valls-assumerait-ses-propos-racistes-evry-parait-il-en-2009.

S’ensuit une irrésistible ascension faisant de lui l’incarnation d’une certaine gauche sécuritaire décomplexée qui, bien que minoritaire au sein du « peuple de gauche » (score de 6% à la primaire socialiste de 2011) permet au logiciel politique Hollandien d’occuper l’espace « sécurité » avec volontarisme face au duo UMP/FN. Il véhicule par ailleurs une image cosmopolite puisqu’il fait partie de ces quelques personnalités politiques, issues de l’immigration, à avoir bénéficié d’une naturalisation (à l’instar de Anne Hidalgo, Eva Joly ou Jean Vincent Placé).
Face à la fronde des électeurs de gauche, le bilan des 2 ans du gouvernement Ayrault a provoqué la colère de l’électorat de gauche (majoritairement resté chez lui afin de montrer leur colère) et du centre :

  • Réforme du Mariage pour tous passée dans la douleur à cause d’un manque de pédagogie, et d’une loi mal ficelée (ne fallait-il pas faire d’abord une loi sur le mariage afin de montrer qu’il y avait un quasi consensus sur la question plutôt que de diviser les français à tout prix ?). On notera que la Grande Bretagne, pays de tradition chrétienne comme la France, vient de faire passer sans remou notable sa loi sur le mariage homosexuel (l’adoption était déjà possible et avait été passée séparément il y a quelques temps).
  • Promesses illusoires et déclarations intempestives concernant la courbe du chômage.
  • Augmentation des impôts alors que la population commence à comprendre que cet impôt ne sert qu’à payer le service de la dette (il est fait pour ca) SOURCE, et non pas à payer les services publics ou assurer une quelconque redistribution.
  • Augmentation de la TVA alors que de nombreuses multinationales américaines (Google, Amazon en particulier) pratiquent allègrement «l’optimisation fiscale » – comprenez une forme de fraude à la TVA plus ou moins licite, privant l’Etat de plusieurs dizaines de milliards d’euros par an de revenus, et biaisant la concurrence avec les librairies par exemple.
  • Le scandale politique Cahuzac (sans doute le plus important pour un gouvernement en poste de la Vème république ?) qui a donné en spectacle un ministre du budget, patron du fisc, lui-même fraudeur fiscal à grande échelle en pleine période de hausse des impôts.
  • Occupation de l’espace médiatique pour des sujets polémiques bien loin des préoccupations des français (Dieudonné) ou par des mesures à l’impact symbolique, voire contre-productives (taxe à 75%, d’ailleurs finalement payée par les entreprises).

La tâche du nouveau Premier Ministre, s’annonce donc corsée et périlleuse. Corsée car François Hollande, fidèle à sa méthode de la synthèse non décisionnelle aura à cœur de compenser la nomination de Manuel Valls par celle de personnalités incarnant plus de modération voire d’orthodoxie « socialiste » au sein de l’échiquier idéologique du PS. Il semble évident qu’Arnaud Montebourg, adversaire de Valls, sera numéro 2 ou numéro 3 du gouvernement, avec probablement un gros portefeuille ministériel du coté de Bercy de nature à équilibrer le rapport de force entre ces deux poids lourds du gouvernement précédent dans le « combat » annoncé comme prioritaire : le chômage. Avec également le retour possible aux affaires de Ségolène Royal, voire de Martine Aubry, et la nomination attendue de Bertrand Delanoë à un poste régalien, le fameux « combat » voulu par Hollande pourrait avant tout être interne.
Sans parler du positionnement des « Ecologistes », que François Hollande souhaite à tout prix garder au sein de son gouvernement. En effet, le spectre d’un énorme score des listes EELV lors des élections Européennes dans moins de 2 mois le hante. Car l’absence de la coalition gouvernementale, pourrait provoquer un nouveau séisme politique : la 4eme place du PS aux législatives, derrière l’UMP, le FN, et donc EELV, ce qui obligerait de facto Hollande à un nouveau remaniement (voire une dissolution). Il se doit donc de résoudre dès aujourd’hui une quadrature du cercle pourtant impossible : convaincre EELV à rester dans un gouvernement mené par « El Blanco ».

En marge de ces difficultés de cohabitation interne imposée par le Président afin de préserver notamment la solidarité du Parlement avec sa politique, M. Valls va donc devoir démontrer ce qu’il peut faire lorsqu’il est aux commandes du pays, en particulier concernant la situation économique de la France. Va-t-il réformer le droit du travail (contrat de travail unique), la fiscalité des salariés et des entreprises autrement que ce qui était déjà prévu dans le Pacte de Responsabilité ou bien militer pour un infléchissement des contraintes budgétaires imposées par les commissaires européens? Cette dernière hypothèse parait la plus probable, mais n’est pas gagné d’avance. Et encore faudra-t-il que les dépenses engagées, en cas d’«indulgence » de la part de Bruxelles, permettent à la France de retrouver le chemin de la compétitivité économique.

Une autre hypothèse, en pleine période de campagne électorale européenne, serait que Manuel Valls milite pour une réforme profonde de l’Europe et milite pour un Euro moins fort. Mais cela semble peu probable pour celui qui a fait campagne pour le « Oui » en 2005 subissant du coup une deuxième défaite après avoir fait campagne pour le « Non » au sein du PS avant que celui-ci ne choisisse sa position finale (http://www.lexpress.fr/actualite/politique/les-habits-neufs-de-manuel-valls_475711.html).

En tout état de cause les deux mois à venir permettront de montrer si il s’inscrit en rupture face aux trahisons successives de l’Europe envers le peuple, ou si il perpétue la tradition de soumission envers les lobbies industriels (Gaz de Schiste, OGM, farine animale, etc. …) et les banques (politique monétaire, marché commun avec les USA etc. …), au mépris de l’intérêt commun (http://blogs.mediapart.fr/blog/poj/010414/leurope-de-valls-et-de-hollande).

Justement, concernant la politique étrangère, il est à craindre qu’il renforcera les positions va-t-en-guerre, notamment syrienne, de François Hollande. En effet, ses liens plus qu’étroit avec Israël (source je suis éternellement attaché), en plus de lui accorder une place de choix lors de chaque diner annuel du CRIF peuvent laisser penser à un renforcement de l’intégration de la France dans l’OTAN, et une intensification des campagnes belligérantes visant à nous expliquer que bombarder des civils (bientôt avec des mini bombes nucléaires), est la solution aux problèmes géostratégiques de l’Occident, couvert par une soi-disant obligation morale vis-à-vis des populations locales, alors même que de nombreux massacres sont passés sous silence aux quatre coins du globe.

La mission de M. Valls s’annonce également périlleuse car sa fenêtre de tir sera très mince et il n’aura pas le droit à l’erreur. En effet, son bilan sera jugé par les français dans un an seulement lors d’élections régionales où le PS aura beaucoup à perdre (la gauche détient actuellement 22 régions sur les 25). Le Président Hollande en est bien conscient, et il ne fera pas de cadeau dans ce qui pourrait s’avérer être pour lui une situation gagnante à tous les coups :

  • soit la situation s’améliore et Hollande « surfera » sur le succès de Valls, en prenant bien soin d’affirmer que c’est également le fruit du travail d’Ayrault. Il sera alors perçu comme un dirigeant clairvoyant qui a pris les bonnes décisions au bon moment (les promesses non tenues des 2 premières années seront un lointain souvenir).
  • Soit la situation s’empire, ce qui affaiblirait Valls et son image de recours crédible à gauche, lui qui est sûrement l’adversaire le plus dangereux de Hollande pour 2017. Une des possibilités serait alors de finir le quinquennat avec un gouvernement plus fédérateur à gauche et composé de proches qui porteront la bonne parole pour la reconduction de ce dernier à l’Elysée. Une alliance très forte à gauche (Front de Gauche, PS, EELV, Parti Radical) sera d’ailleurs probablement la condition sine qua none afin d’éviter un second tour aux présidentielles de 2017 entre Marine Le Pen et le candidat UMP.

Enfin, il sera intéressant (et important), de suivre les prises de position ainsi que les actes du gouvernement Valls procédant du laïcisme radical et communautariste d’El Blanco, en particulier concernant l’Islam et sa volonté de démontrer qu’il est « comptable avec la démocratie » (source : http://www.liberation.fr/politiques/2013/08/19/valls-jette-un-froid-a-la-table-du-seminaire_925680).

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